10 octobre 2008

Le baroud d'honneur du Chef BIDJOCKA BI TUM

B- LA NAISSANCE DU CANTON NDOG-BESSOL;


La naissance d’un canton Ndog-bessol se fit à cause d’une part de l’incapacité de Mbéa Bodog à gérer avec succès sa chefferie supérieure et d’autre part à cause des dissensions intestines.

1- La situation politique;


Il est possible d’affirmer en accord avec D. Abwa que ‘’les chefferies supérieures furent les unités de commandement indigène les plus artificielles de la colonisation française […], leur création ne tenait compte d’aucune unité, ni ethnique, ni démographique, ni politique, la disparité était sa caractéristique essentielle et son principal atout’’. Cette situation n’était pas pour arranger les choses dans la chefferie de Mbéa Bodog qui n’était pas cet ‘’homme de caractère capable d’assumer le rôle qui lui était dévolu’’. Ceci dit, il a été reconnu que l’étendue de la région Ndog-bessol dépassait le cadre de l’action du chef supérieur Mbéa Bodg qui, ‘’depuis trois ans n’a visité ni les villages situés au Nord de la voie ferrée et qui constituent un bloc de 18 unités, ni les huit villages encadrés par la route Lolodorf et le Nyong.’’ Un tel délaissement favorisait les mécontentements.
L’instabilité de cette chefferie était également marquée par de nombreuses réclamations des ressortissants de cette région, ressortissants assez hétérogènes et regroupés de la manière suivante :;


• Le premier groupe originaire des territoires où ils sont installés, c’est-à-dire :
- Bidjocka ;

- Song Madeng ;

- Biyouha ;

- Song Poa ;

- Nguibassal ;

- Bangsombi ;

- So-Mapan ;

- Nsonga ;

- Lebi ;

- Ngongos.


• Le second d’origine bakoko, formé à la suite de l’organisation française et qui a incorporé les villages.;

- Kellé-Ndog Ngond ;


- Mboui I et II ;

- So-kellé ;


- Tindba et So-Dibanga à la subdivision d’Eséka, tandis que précédemment il relevait de la région Nord Est d’Edéa.;


• Le troisième groupe, celui des Yabii, avec les huit villages.
- Song-Mbong ;;

- Makott ;;

- Song Lipem ;

- Ndonglien ;

- Malombé ;

- Liboock ;;

- Likouk ;;

- Body, dont l’origine ethnique se détache nettement des deux premiers pour se rapprocher des Yassoukou de la côte Atlantique.;


• Enfin le groupe des deux villages Mbengue (celui du chef supérieur actuel) et Timalom qui serait une fraction détachée des bakoko du Sud-Ouest d’Edéa.
En plus, il a d’ailleurs été reconnu des lignes de démarcation nettement constituées par les rivières ou fleuves Dibanga, Pomlep, Kellé et Nyong.;


Cette disposition territoriale nécessitait donc assez de doigté et de vigueur pour concilier et conjuguer les élans certainement divers des différents groupes ethniques ; quant on sait que des mécontentements étaient observés, çà et là ou les gens se sentaient lésés. En effet, ce sentiment d’écartement était lié en partie au fait que le nom de la chefferie portait généralement le nom du clan ou du village dont était issu le premier chef, et ce nom était étendu par la suite sur l’ensemble du canton au mépris des autres ressortissants des groupes claniques dont disposait le canton. C’est alors qu’un tel clan jouissait de certaines prérogatives auxquelles les autres clans ou villages ne prétendaient pas. ‘’ C’est au chef lieu du canton en principe que s’installèrent les premiers marchés périodiques, la première église officielle et parfois la première chapelle chrétienne et bien sûr le tribunal coutumier de la chefferie.’’ Une telle situation renchérit P. Tjeega, ‘’n’a pas cessé de susciter l’envie parmi ceux qui se croyaient lésés et des revendications qui ont abouti en 1938 à l’éclatement du premier canton Ndog-bessol dans le secteur de Messondo.’’ Il faut ainsi dire que cette situation a alimenté les dissensions intestines et a agrandi la distance entre les différentes familles claniques et lignagères.;


Par ailleurs la situation économique n’était pas avantageuse ; le tort ne sera sans doute pas attribué au seul chef, Mbéa Bodog mais aussi à l’administration coloniale ; de fait malgré la présence de la voie ferrée, le chef n’a pas su amener sa population à réaliser des chiffres intéressants dans les productions agricoles. Quand même, ‘’les cinq autres groupements de la subdivision bénéficient d’une situation privilégiée […] par la présence de nombreuses installations Européennes, concessions forestières, plantations, dans cette zone.’’
Ainsi la seule solution entrevue fut la destitution du chef supérieure et l’éclatement de la chefferie.

2- De la tenue de palabre à la dislocation de la chefferie supérieure Ndog-bessol;


En vue de résoudre le problème posé par la gestion précaire de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol, il y eut des tenues de palabre respectivement le 24 septembre 1937 et le 8 mars 1938. Ces tenues de palabres assez régulières en zones forestières ‘’étaient pour la plus part destinées à confirmer les choix déjà effectués dans les bureaux des fonctionnaires d’autorité et à les légitimer auprès des populations à administrer.’’ C’est ainsi que en conformité avec les instructions contenues dans sa lettre n°341/AP en date du 31 janvier 1938 de M. le commissaire de la République, Rouam-Sim administrateur et chef de la subdivision d’Eséka assisté de Woungly Massaga et de Bisseck Guillaume, écrivains interprètes, convoqua les chefs de villages tels Mbe-Mbe Bayang, Ndjeng-Elouga, Bakouo-Bassogog…, des notables et planteurs ressortissants de la région Ndog-bessol. Ce regroupement visait à répartir en quatre groupements ladite région.;


C’est pourquoi, après la consultation populaire précédée d’abord d’un exposé complet fait par Rouam-sim sur la situation du commandement indigène dans la même région quatre groupements furent formés. A partir des blocs de villages formés, chaque groupe choisit son chef. Les chefs pressentis à savoir Mbea Bodog ; Bidjocka Bi Tum, Ndjeng Elouga, Bakouo-Bassogog furent élus à l’unanimité.
;

En conformité donc avec cette séance, par décision en date du 11 avril 1938, ‘’le nommé Mbea-Bodog, est destitué des fonctions de chef supérieur de la région Ndog-bessol. A partir de ce moment là jusqu’en 1957, la chefferie supérieure resta vacante car pour les autorités françaises, les chefferies supérieures devaient à terme être supprimées. Ainsi à chaque disparition d’un chef ou à chaque destitution, la chefferie était supprimée.;


Par ailleurs, « la région Ndog-bessol est divisée en quatre groupements indépendants englobant les villages énumérés ci-dessous et placés sous le commandement des chefs de groupement désignés comme suit :;


1°) Bidjocka-Bithoum, pour les villages : Bidjocka, Song-Madeng, Song Bayang I, Song-Bayang II,Biyouha, Songpoa, Nguibassal, Bangsombi, Somapan, Nsonga, Lebi et Ngongos ;;


2°) Njeng Elouga, pour les villages : Kellé Ndog-ngond, Mboui I, Mboui II, So-kellé, Tindha et So-Dibanga.;


3°) Bakouo-Bassogog, pour les villages : Song –Mbong, Makott, Song-Lipem, Ndonglien, Malombé, Libock, Likouk et Body ;;


4°) Mbéa-Bodog pour les villages : Mbengue et Timalom.’’;


……………………….
3- Bidjocka bi tum, les Ndog-bessol et les débuts du canton;


Après la destitution de leur chef supérieur en 1938, la chefferie supérieure resta vacante. Seules subsistaient les chefferies de deuxième et de troisièmes degrés chez les Ndog-bessol. La chefferie de deuxième degré ici fut soumise à l’autorité directe de l’administration française et compte tenue du rapprochement de cette institution d’une certaine réalité traditionnelle, les français conscients des intérêts que cela pouvait revêtir firent des chefs de canton ‘’la cheville ouvrière de leur système.’’;


a) La réaccession de Bidjocka bi Tum au pouvoir
‘’Bidjocka bi tum avait le commandement dans le sang.’’ Ce qui traduirait sans doute la constance de ce dernier au pouvoir.
En effet après avoir été défait de ses fonctions aux alentours des années 1929-1932, Bidjocka s’en trouva profondément touché affirment les siens. La trahison de ses frères lui avait fait réaliser que, l’étendue de son autorité déplaisait à beaucoup d’entre eux ; la fierté et les honneurs qu’il avait expérimentés depuis la période Allemande étaient voués à un autre, de la famille Log Mataa.;


Malgré cela, il continua à s’intéresser d’assez près aux activités de la chefferie et les infortunes de Mbéa Bodog, son cousin, lui firent espérer qu’un jour, il pourrait reprendre sa place. C’est ainsi qu’à la veille de son choix en tant que chef du canton Ndog-bessol, il alla une fois de plus consulter l’oracle, c’est-à-dire « le devin ‘’Ngambi’’ araignée mygale dont la sagesse est sollicitée à l’occasion de toute les grandes décisions. »;


Pour se faire, l’oracle situé à Messondo que consulta Bidjocka bi tum s’appelait Nouck Gwelabo. L’oracle prit en premier la parole et lui demanda :;


Oracle - A Lembè (sorte d’oiseau ; homme beau et élancé) qu’est-ce qui t’amène ?;


Bidjocka - J’avais une épouse qui m’aimait beaucoup ; lorsqu’elle était à moi, ;

j’étais riche, j’avais tout (les serviteurs, la richesse, la gloire…) ; mais depuis que cette femme est rentrée chez elle, j’ai faibli, je suis devenu pauvre et maintenant, mon désir est d’aller chez ses parents pour la ramener. J’aimerai donc savoir :;


- Si j’y vais est-ce que je vais arriver ?;


- Si mes beaux parents m’accueillent vont-ils me la remettre ?
;

- Si je la ramène vais-je vivre ou vais-je mourir ?;


Oracle – Reviens dans neuf jours !;


Après neufs jours il revint voir l’oracle qui lui dit.;


Oracle – tes beaux parents vont t’accueillir et la femme te sera remise ; mais si tu la ramènes, tu ne vivras pas. Ne pars pas à Eséka, ne vas pas chercher cette femme où tu mourras.;


Bidjocka – Le lion où la panthère ne recule pas, il préfère qu’on le tue entrain de manger le gibier, traduction d’un adage basa qui dit ‘’Njee i Woô be ni Kagan i Nyô.’’;


Cette entreprise de Bidjocka chez le devin allait en droite ligne avec les revendications que celui-ci ne cessa de faire à l’administration depuis sa destitution. C’est ainsi que, avec les prédictions de l’oracle, on le retrouva à la tenue de palabre sue évoquée où il fut pressenti et choisi comme chef de canton Ndog-bessol. Canton qui était le plus étendu par rapport aux trois autres. Même s’il n’eut plus l’autorité de la chefferie supérieure, la relative importance de son nouveau commandement était sans nul doute due à l’appréciation que l’administration lui adressait en tant que chef capable et digne de confiance. D’ailleurs, lors des tournées du 18 au 26 novembre 1937, en prévision à la résolution du problème de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol, une note faite dans son carnet de chef de 1938 restaure sa crédibilité ; il est ainsi écrit : ‘’[…] ex chef supérieur destitué pour ivrognerie à la suite des plaintes non fondées […]. D’où son rétablissement car plus loin il est écrit. ‘’Ex chef supérieur destitué en 1932 pour ‘’ivrognerie’’ Bidjocka Bitoum est maintenant d’une tempérance remarquable et n’a rien perdu et de son autorité et de son influence sur les indigènes qu’il a commandé et qui le respectent.;


- Rétabli dans ses fonctions de chef de village de Bidjocka par décision n°101 en date du 24.11.37 du chef de région de la Sanaga Maritime, décision approuvé par le commissaire de la république le 04.12.37 s/n° 2673.;


- Nommé chef de groupement (ou chef supérieur) par décision n°902 du 11 avril 1938 par le commissaire de la république française au Cameroun.’’
;

Malgré cette remise en confiance de Bidjocka dont le rôle fut effectif dès le 11 avril 1938, les prévisions du Ngambi une fois de plus allaient se réaliser. Car ce nouveau chef de canton allait décéder au grand dam la population et de l’administration.;



b) Sa mort et sa succession à la tête du canton Ndog-bessol
L’oracle avait dit à Bidjocka, la femme te sera remise. Si tu l’as ramène, tu mourras. Est ce à dire que son décès serait provoqué par la reconquête de son commandement ? Officieusement oui, car au vu des dires des uns, il avait certainement été empoisonné.;


En effet, ce fut le 14 juillet 1938, donc exactement quelques mois après son retour au pouvoir que BIDJOCKA BI TUM à l’exemple des autres chefs de la subdivision et comme il était de coutume, alla à Eséka. C’était en l’honneur de la fête nationale française du 14 juillet que les chefs indigènes, notables, administrateurs français devaient célébrer ensemble. A son retour de cette fête, affirme E. Bidjocka, le 16 juillet, il ne put dormir, il tourna en rond et parut troublé, il pressentait sûrement quelque chose ; mais la mort fut victorieuse et le 17 juillet 1938, il rendit l’âme au petit matin. De fait : ‘’les gens étaient jaloux de la prospérité de mon père, on l’a atteint car cette nuit, il s’était penché quelque part pour se mettre à l’aise et au petit matin, à cet endroit toutes les herbes étaient brûlées marque d’un puissant poison.’’;


Une inquiétude naissait du côté de l’administration, car il se posait une fois de plus le problème de succession. Il fallait trouver un collaborateur valable de la trempe de Bidjocka mais ce n’était pas aisé d’autant plus que ‘’la difficulté liée au choix du successeur rendait la tâche pénible.’’ Une longue période d’attente s’en suivit dans la mesure où au niveau de l’administration trouver un digne remplaçant était difficile, déjà que Bidjocka n’avait laissé que des fils en bas âge ; par ailleurs concernant la population locale, des remous naquirent à propos de l’éventuel successeur du chef défunt.;