10 octobre 2008

Le règne mouvementé du Chef BIDJOCKA sous la France


CHAPITRE V : LES NDOG-BESSOL ET L’EXPERIENCE FRANÇAISE

Le traité de paix de Versailles du 18 juin 1919 qui établissait la création de la société des nations donna une nouvelle orientation à la gestion du territoire jadis occupé par l’Allemagne non sans une vive protestation de cette dernière. Dans cette optique le Cameroun allait devenir territoire sous mandat français et anglais de 1919 à 1945. La région d’Edéa sera ainsi gérée par l’administration française.



2- La reconduction de la chefferie supérieure Bidjocka
L’administration française a adopté dans leurs grandes lignes les procédés de l’administration allemande,[1] comme nous l’avons précédemment souligné, malgré quelques modifications liées à la politique coloniale de chaque système, des dénominations telle la chefferie indigène ont survécu.

a) La réhabilitation de Bidjocka bi tum sous la domination française
«[…] beaucoup de cadres laissés par les Allemands reprennent du service auprès de l’administration française […]»[2] Ce fut le cas de Bidjocka bi tum grand chef au temps des Allemands.
En effet, retrouvé dans la collaboration avec l’administration française, nos informateurs justifient cette reconduction par une supposée intelligence de Bidjocka qui su se distinguer des autres membres de sa communauté grâce à son précédent exercice de la fonction de chef supérieur. »[3]
C’est suite à cette collaboration et dans ses prérogatives de chef
supérieur de la région Ndog-bessol que « Bidjocka chef de Sendé’’,[4] notable indigène fut désigné assesseur auprès du tribunal indigène de la subdivision d’Eséka le 09 juin 1917.[5]
Il est donc certain que malgré son exil en fin du règne allemand, BIDJOCKA BI TUM avait réussi à obtenir les faveurs et la confiance de l’autorité française ; en plus grâce à la coercition qu’exerçait l’administration sur la population locale par le biais de l’indigénat, ce grand chef à l’instar des différents autres du territoire sous mandat, a su se faire craindre et obéir par ses congénères. Par ailleurs, son rôle n’étant pas particulièrement différent de celui qu’il avait au temps des Allemands, il lui revenait de :
· Transmettre à la population les directives des autorités administratives et de veiller à leur exécution.
· Concourir sous la direction des autorités administratives compétentes, au maintien de l’ordre public et au développement économique, social de leur unité de commandement.
· Collecter les impôts et taxes dans les conditions fixées par la règlementation
· Fournir la main d’œuvre pour les travaux de mise en valeur commencés par les Allemands. C’est pourquoi il ressort que : « les chefs indigènes ont été les principaux artisans du moins des collaborateurs précieux de notre œuvre de mise en valeur du pays […]. »[6]

Ces différentes actions légitimées par l’administration concourent à faire croire que la chefferie est une institution devant assurer la stabilité de l’organisation administrative ; elle permet dès lors de matérialiser l’omniprésence de ladite administration au sein des communautés locales. Dans le même ordre d’idées, durant une quinzaine d’années environ, le chef supérieur Bidjocka fit preuve de bravoure et d’adresse dans ses attributions,[7] malgré la disparité des groupes ethniques placées sous son autorité.
Cependant, cette prééminence du chef Bidjocka dont l’autorité était notoire ne faisait pas l’assentiment de tous et surtout des membres des lignages, ce qui allait contribuer à sa dépossession,[8] en ce sens que traditionnellement, le peuple bassa et Mpoo étant habitué à un chef de clan libéral, supportait mal l’hégémonie et la domination d’un chef étranger ; ceci est attesté entre autre à travers ce propos : « […] D’aucuns vont jusqu’à affirmer que l’installation d’une chefferie cantonale Ndog-Ndjoué à Bat Bat […] n’avait pour but que de contrer l’hégémonie du chef supérieur Ndog-bessol installé à Badjob .»[9] Ce qui marque l’observation des luttes d’influence dues à la création de ces chefferies artificielles c’est-à-dire qui ne tenaient pas véritablement compte des contingences ethniques et spatiales.
A côté de cette hypothèse, une autre frange de la population estime que la déchéance de Bidjocka bi tum fut la résultante de ses propres incartades.

b) La destitution de Bidjocka bi tum
Comme il a été souligné plus haut, l’administration de la France mandataire n’admettait pas de faute de la part des chefs indigènes dans l’exercice de leurs fonctions. La sanction encourue pouvait aller de l’exil à la destitution. Bidjocka bi tum, chef supérieur Ndog-bessol n’échappa pas à cette règle. Dès 1932,[10] il perdit de sa crédibilité auprès de ses supérieurs hiérarchiques et fut destitué.

à cette règle. Dès 1932,[11] il perdit de sa crédibilité auprès de ses supérieurs hiérarchiques et fut destitué.
Ceci étant, différentes versions tendent à expliquer ce fait historique. La première associe cette destitution à une machination car : « en 1932, Bidjocka fut destitué de ses pouvoirs pour ivrognerie, à la suite des plaintes non fondées, […] par suite de connivence et conspiration tramées par Matip ma Ngué et Oum Gwet, tous deux alors fonctionnaires à la subdivision d’Eséka, et appartenant à la même tribu que ce dernier chef».[12] Il semblerait à ce niveau que ne sachant ni lire, ni écrire, Bidjocka qui se faisait assister par ses deux cousins qui passaient pour être ses frères le conduisirent volontairement à la faute dans la mesure où ils commandaient des produits Européens dont le vin, à crédit. Ils s’assuraient par ailleurs que ces commandes étaient notées ainsi que leur non payement ; visant ainsi à discréditer le chef supérieur.[13] Les dettes non payées devenues trop lourdes, la situation fut portée à la connaissance du chef de subdivision, Bidjocka fut révoqué de ses fonctions. Cette traîtrise serait justifiée par la non acceptation d’un Ndog Keng comme chef des autres lignages Ndog-bessol,[14] à l’instar des Log-Mataa.
De même la deuxième version fait état d’une négligence et même d’une conduite indigne de Bidjocka. Ceci est traduit par ces termes : « A l’époque française, précisément aux alentours de 1930, un vin rouge fut mis sur le marché au nom de Nabao que les villageois appelaient ‘’bilâm bi môndô’’ ou vin nouveau. Suite à la publicité que les indigènes faisaient autour de ce vin, le grand chef Ndog-bessol alla à Eséka voir le distributeur nommé Jean Massau, pour acquérir le nouveau vin. Une bouteille coûtant 85 centimes, il donna 70 centimes et contracta une dette de 15 centimes en promettant de la régler dans quatre jours et comme gage il remit au distributeur son carnet de chef. N’ayant pas respecté sa date, Jean Massau alla voir le chef de subdivision Sando[15] et lui remit ce carnet. Le chef de subdivision fit ainsi appeler Bidjocka et lui demanda son carnet de chef. Incapable de donner une justification crédible, il perdit de son estime devant les administrateurs. »[16] Suite à cet acte irréfléchi et indigne, Bidjocka bi tum avait manqué à sa mission car on n’imaginait pas qu’un chef donnât son carnet de chef (témoignant de son autorité) pour si peu ; cette erreur lui fut fatale et on lit d’ailleurs dans un extrait de son carnet de chef de 1938, notamment sur la partie conduite et punitions : ex-chef supérieur, Bidjocka bi tum est destitué en 1932 pour ivrognerie.[17] Et sans aucune autre forme de procès, il fut remplacé par un membre de son clan appartenant à un lignage et village voisin.

3- Le transfert de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol
Comme nous l’avons souligné plus haut Bidjocka aux yeux de l’administration française avait faillit à sa fonction. Sur proposition de certains de ses proches parents notamment Matip ma Ngué, il fut remplacé par le frère de ce dernier nommé Gouet bi Bodog.

a)Gouet bi Bodog : L’homme et les traits majeurs de son règne
Gouet bi Bodog était un Log Mataa de la tribu Ndog-bessol né à l’époque Allemande[18] sans plus de précision. Fils de Bodog Gouet et de Ngo Komol Gombi, il était illettré, car à l’époque, les parents méprisaient l’école.[19] Père d’une famille nombreuse, il avait 91 femmes dont la plupart acquises sous son autorité de chef supérieure.
De fait, suite à la déconvenue de Bidjocka, Matip ma Ngué, écrivain interprète car instruit, fit appeler son frère consanguin Gouet, et le présenta au chef de subdivision d’Eséka comme postulant au trône. Par sa posture dit-on et son caractère posé, il plut à l’administrateur d’une part ; d’autre part ses origines communes avec le précédent chef furent également mises en exergue pour sa crédibilité en tant qu’éventuel chef.[20] C’est ainsi que d’une source à un autre, en 1929[21] ou 1932 il fut promut à la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol. De ce fait, la chefferie fut transférée de Bidjocka à Mbengue séparés de plusieurs villages à la satisfaction des Log Mataa.[22]
Après son investiture, il se mit à l’œuvre. Ses attributions n’étaient guerres différentes de celles des autres chefs de l’époque. Cependant la satisfaction quant à sa tâche était générale car il passa pour être ‘’le chef le plus respectueux et le plus respecté de l’époque’’.[23] Avec Gouet bi Bodog, on n’observait pas d’abus dans le traitement des indigènes, ni dans l’imposition car il était droit et humain.
Etant tout à fait conscient du fossé qui existait entre l’administration et la population à cause de la divergence idéologique, il s’efforçait de satisfaire les deux parties même s’il devait le plus servir l’administration.[24]
De fait, il fit entretenir les pistes conduisant au rail pour l’acheminement des produits agricoles et essences forestières et même pour la bonne circulation des administrateurs coloniaux en bref la principale innovation liée à son pouvoir fut l’érection de Mbengue comme premier centre d’Etat civil ;[25] et là, les gens venaient de partout dans la subdivision d’Eséka pour déclarer les naissances. Seulement, compte tenu des conditions de déplacement malaisées de l’époque beaucoup aussi échappaient à cette pratique.
A l’opposé du premier chef supérieur qu’il remplaça, Gouet bi Bodog se sépara de son règne de façon différente. En fait il mourut le 15 février 1933.[26] Mais pour quelques uns cette mort fut provoquée ; à cet effet, il apparaît que, au nom du chef Gouet bi Bodog, un de ses frères consanguins Bodog Eugène organisa une tournée de vol au cours de laquelle il se fit accompagné par quelques éléments de la police du chef ; il pilla la population de façon considérable. Celle-ci affectée demanda au chef de livrer le malfaiteur afin qu’il fut jugé traditionnellement ; ayant refusé de répondre à cet appel, Gouet fut tué dans la sorcellerie.[27] Compte tenu du fait qu’il ne laissa pas de fils âgé, c’est l’un de ses frères Mbea Bodog qui lui succéda.

……………………

[1] Maraball, ibid. p. 151.
[2] Ch. Santoir et A. Bopda, ibid. p. 13.
[3] Hagbe Djongi, ibid.
[4] Autorité étendue dans les limites de l’actuel arrondissement de Messondo.
[5] ANY J.O.C n°14 juillet 1917. Arrêté portant création d’un tribunal indigène dans la subdivision d’Eséka.
[6] A.N.Y, Apa 11689, opcit, région Sanaga Maritime cité par D. Abwa, ibid, p 570.
[7] E. Bidjocka, ibid.
[8] Hagbe Djongi, ibid.
[9] Ce chef était plutôt installé à Bidjocka.
[10] A.N.Y, 3 AC 1975, Ndog-bessol…. ibid.
[11] A.N.Y, 3 AC 1975, Ndog-bessol…. ibid.
[12] Ibid.
[13] E. Bidjocka, ibid.
[14]D’Origine étrangère dit-on comme souligner au 1er chapitre P 10
[15] Qui serai le chef de subdivision Sandeau qui régna quelques temps à Eseka.
[16] Hagbe Djongi,ibid
[17] A.MINAT APA, C/n°00010072, carnet de chef de bidjocka Bi tum
[18] Ngué Bodog, ibid.
[19] Hagbe Ndjongi, ibid.
[20] ibid.
[21]ANY JOC n° 209, arrêté du 17 janvier 1929, portant composition du conseil de notables de la circonscription d’Edéa, p 172.
[22] A. Minat, ibid.
[23] E. Bidjocka, ibid.
[24] Mis ma Ngué, ibid.
[25] Hagbe Djongi, ibid.
[26] A. Minat, APA, chefferie Eséka, C/ n°747 du chef de la circonscription d’Eséka adressé au commissaire de la république française, pour nomination d’un chef supérieur de la région Ndog-bessol.
[27]Hagbe Djongi, ibid