10 octobre 2008

Le baroud d'honneur du Chef BIDJOCKA BI TUM

B- LA NAISSANCE DU CANTON NDOG-BESSOL;


La naissance d’un canton Ndog-bessol se fit à cause d’une part de l’incapacité de Mbéa Bodog à gérer avec succès sa chefferie supérieure et d’autre part à cause des dissensions intestines.

1- La situation politique;


Il est possible d’affirmer en accord avec D. Abwa que ‘’les chefferies supérieures furent les unités de commandement indigène les plus artificielles de la colonisation française […], leur création ne tenait compte d’aucune unité, ni ethnique, ni démographique, ni politique, la disparité était sa caractéristique essentielle et son principal atout’’. Cette situation n’était pas pour arranger les choses dans la chefferie de Mbéa Bodog qui n’était pas cet ‘’homme de caractère capable d’assumer le rôle qui lui était dévolu’’. Ceci dit, il a été reconnu que l’étendue de la région Ndog-bessol dépassait le cadre de l’action du chef supérieur Mbéa Bodg qui, ‘’depuis trois ans n’a visité ni les villages situés au Nord de la voie ferrée et qui constituent un bloc de 18 unités, ni les huit villages encadrés par la route Lolodorf et le Nyong.’’ Un tel délaissement favorisait les mécontentements.
L’instabilité de cette chefferie était également marquée par de nombreuses réclamations des ressortissants de cette région, ressortissants assez hétérogènes et regroupés de la manière suivante :;


• Le premier groupe originaire des territoires où ils sont installés, c’est-à-dire :
- Bidjocka ;

- Song Madeng ;

- Biyouha ;

- Song Poa ;

- Nguibassal ;

- Bangsombi ;

- So-Mapan ;

- Nsonga ;

- Lebi ;

- Ngongos.


• Le second d’origine bakoko, formé à la suite de l’organisation française et qui a incorporé les villages.;

- Kellé-Ndog Ngond ;


- Mboui I et II ;

- So-kellé ;


- Tindba et So-Dibanga à la subdivision d’Eséka, tandis que précédemment il relevait de la région Nord Est d’Edéa.;


• Le troisième groupe, celui des Yabii, avec les huit villages.
- Song-Mbong ;;

- Makott ;;

- Song Lipem ;

- Ndonglien ;

- Malombé ;

- Liboock ;;

- Likouk ;;

- Body, dont l’origine ethnique se détache nettement des deux premiers pour se rapprocher des Yassoukou de la côte Atlantique.;


• Enfin le groupe des deux villages Mbengue (celui du chef supérieur actuel) et Timalom qui serait une fraction détachée des bakoko du Sud-Ouest d’Edéa.
En plus, il a d’ailleurs été reconnu des lignes de démarcation nettement constituées par les rivières ou fleuves Dibanga, Pomlep, Kellé et Nyong.;


Cette disposition territoriale nécessitait donc assez de doigté et de vigueur pour concilier et conjuguer les élans certainement divers des différents groupes ethniques ; quant on sait que des mécontentements étaient observés, çà et là ou les gens se sentaient lésés. En effet, ce sentiment d’écartement était lié en partie au fait que le nom de la chefferie portait généralement le nom du clan ou du village dont était issu le premier chef, et ce nom était étendu par la suite sur l’ensemble du canton au mépris des autres ressortissants des groupes claniques dont disposait le canton. C’est alors qu’un tel clan jouissait de certaines prérogatives auxquelles les autres clans ou villages ne prétendaient pas. ‘’ C’est au chef lieu du canton en principe que s’installèrent les premiers marchés périodiques, la première église officielle et parfois la première chapelle chrétienne et bien sûr le tribunal coutumier de la chefferie.’’ Une telle situation renchérit P. Tjeega, ‘’n’a pas cessé de susciter l’envie parmi ceux qui se croyaient lésés et des revendications qui ont abouti en 1938 à l’éclatement du premier canton Ndog-bessol dans le secteur de Messondo.’’ Il faut ainsi dire que cette situation a alimenté les dissensions intestines et a agrandi la distance entre les différentes familles claniques et lignagères.;


Par ailleurs la situation économique n’était pas avantageuse ; le tort ne sera sans doute pas attribué au seul chef, Mbéa Bodog mais aussi à l’administration coloniale ; de fait malgré la présence de la voie ferrée, le chef n’a pas su amener sa population à réaliser des chiffres intéressants dans les productions agricoles. Quand même, ‘’les cinq autres groupements de la subdivision bénéficient d’une situation privilégiée […] par la présence de nombreuses installations Européennes, concessions forestières, plantations, dans cette zone.’’
Ainsi la seule solution entrevue fut la destitution du chef supérieure et l’éclatement de la chefferie.

2- De la tenue de palabre à la dislocation de la chefferie supérieure Ndog-bessol;


En vue de résoudre le problème posé par la gestion précaire de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol, il y eut des tenues de palabre respectivement le 24 septembre 1937 et le 8 mars 1938. Ces tenues de palabres assez régulières en zones forestières ‘’étaient pour la plus part destinées à confirmer les choix déjà effectués dans les bureaux des fonctionnaires d’autorité et à les légitimer auprès des populations à administrer.’’ C’est ainsi que en conformité avec les instructions contenues dans sa lettre n°341/AP en date du 31 janvier 1938 de M. le commissaire de la République, Rouam-Sim administrateur et chef de la subdivision d’Eséka assisté de Woungly Massaga et de Bisseck Guillaume, écrivains interprètes, convoqua les chefs de villages tels Mbe-Mbe Bayang, Ndjeng-Elouga, Bakouo-Bassogog…, des notables et planteurs ressortissants de la région Ndog-bessol. Ce regroupement visait à répartir en quatre groupements ladite région.;


C’est pourquoi, après la consultation populaire précédée d’abord d’un exposé complet fait par Rouam-sim sur la situation du commandement indigène dans la même région quatre groupements furent formés. A partir des blocs de villages formés, chaque groupe choisit son chef. Les chefs pressentis à savoir Mbea Bodog ; Bidjocka Bi Tum, Ndjeng Elouga, Bakouo-Bassogog furent élus à l’unanimité.
;

En conformité donc avec cette séance, par décision en date du 11 avril 1938, ‘’le nommé Mbea-Bodog, est destitué des fonctions de chef supérieur de la région Ndog-bessol. A partir de ce moment là jusqu’en 1957, la chefferie supérieure resta vacante car pour les autorités françaises, les chefferies supérieures devaient à terme être supprimées. Ainsi à chaque disparition d’un chef ou à chaque destitution, la chefferie était supprimée.;


Par ailleurs, « la région Ndog-bessol est divisée en quatre groupements indépendants englobant les villages énumérés ci-dessous et placés sous le commandement des chefs de groupement désignés comme suit :;


1°) Bidjocka-Bithoum, pour les villages : Bidjocka, Song-Madeng, Song Bayang I, Song-Bayang II,Biyouha, Songpoa, Nguibassal, Bangsombi, Somapan, Nsonga, Lebi et Ngongos ;;


2°) Njeng Elouga, pour les villages : Kellé Ndog-ngond, Mboui I, Mboui II, So-kellé, Tindha et So-Dibanga.;


3°) Bakouo-Bassogog, pour les villages : Song –Mbong, Makott, Song-Lipem, Ndonglien, Malombé, Libock, Likouk et Body ;;


4°) Mbéa-Bodog pour les villages : Mbengue et Timalom.’’;


……………………….
3- Bidjocka bi tum, les Ndog-bessol et les débuts du canton;


Après la destitution de leur chef supérieur en 1938, la chefferie supérieure resta vacante. Seules subsistaient les chefferies de deuxième et de troisièmes degrés chez les Ndog-bessol. La chefferie de deuxième degré ici fut soumise à l’autorité directe de l’administration française et compte tenue du rapprochement de cette institution d’une certaine réalité traditionnelle, les français conscients des intérêts que cela pouvait revêtir firent des chefs de canton ‘’la cheville ouvrière de leur système.’’;


a) La réaccession de Bidjocka bi Tum au pouvoir
‘’Bidjocka bi tum avait le commandement dans le sang.’’ Ce qui traduirait sans doute la constance de ce dernier au pouvoir.
En effet après avoir été défait de ses fonctions aux alentours des années 1929-1932, Bidjocka s’en trouva profondément touché affirment les siens. La trahison de ses frères lui avait fait réaliser que, l’étendue de son autorité déplaisait à beaucoup d’entre eux ; la fierté et les honneurs qu’il avait expérimentés depuis la période Allemande étaient voués à un autre, de la famille Log Mataa.;


Malgré cela, il continua à s’intéresser d’assez près aux activités de la chefferie et les infortunes de Mbéa Bodog, son cousin, lui firent espérer qu’un jour, il pourrait reprendre sa place. C’est ainsi qu’à la veille de son choix en tant que chef du canton Ndog-bessol, il alla une fois de plus consulter l’oracle, c’est-à-dire « le devin ‘’Ngambi’’ araignée mygale dont la sagesse est sollicitée à l’occasion de toute les grandes décisions. »;


Pour se faire, l’oracle situé à Messondo que consulta Bidjocka bi tum s’appelait Nouck Gwelabo. L’oracle prit en premier la parole et lui demanda :;


Oracle - A Lembè (sorte d’oiseau ; homme beau et élancé) qu’est-ce qui t’amène ?;


Bidjocka - J’avais une épouse qui m’aimait beaucoup ; lorsqu’elle était à moi, ;

j’étais riche, j’avais tout (les serviteurs, la richesse, la gloire…) ; mais depuis que cette femme est rentrée chez elle, j’ai faibli, je suis devenu pauvre et maintenant, mon désir est d’aller chez ses parents pour la ramener. J’aimerai donc savoir :;


- Si j’y vais est-ce que je vais arriver ?;


- Si mes beaux parents m’accueillent vont-ils me la remettre ?
;

- Si je la ramène vais-je vivre ou vais-je mourir ?;


Oracle – Reviens dans neuf jours !;


Après neufs jours il revint voir l’oracle qui lui dit.;


Oracle – tes beaux parents vont t’accueillir et la femme te sera remise ; mais si tu la ramènes, tu ne vivras pas. Ne pars pas à Eséka, ne vas pas chercher cette femme où tu mourras.;


Bidjocka – Le lion où la panthère ne recule pas, il préfère qu’on le tue entrain de manger le gibier, traduction d’un adage basa qui dit ‘’Njee i Woô be ni Kagan i Nyô.’’;


Cette entreprise de Bidjocka chez le devin allait en droite ligne avec les revendications que celui-ci ne cessa de faire à l’administration depuis sa destitution. C’est ainsi que, avec les prédictions de l’oracle, on le retrouva à la tenue de palabre sue évoquée où il fut pressenti et choisi comme chef de canton Ndog-bessol. Canton qui était le plus étendu par rapport aux trois autres. Même s’il n’eut plus l’autorité de la chefferie supérieure, la relative importance de son nouveau commandement était sans nul doute due à l’appréciation que l’administration lui adressait en tant que chef capable et digne de confiance. D’ailleurs, lors des tournées du 18 au 26 novembre 1937, en prévision à la résolution du problème de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol, une note faite dans son carnet de chef de 1938 restaure sa crédibilité ; il est ainsi écrit : ‘’[…] ex chef supérieur destitué pour ivrognerie à la suite des plaintes non fondées […]. D’où son rétablissement car plus loin il est écrit. ‘’Ex chef supérieur destitué en 1932 pour ‘’ivrognerie’’ Bidjocka Bitoum est maintenant d’une tempérance remarquable et n’a rien perdu et de son autorité et de son influence sur les indigènes qu’il a commandé et qui le respectent.;


- Rétabli dans ses fonctions de chef de village de Bidjocka par décision n°101 en date du 24.11.37 du chef de région de la Sanaga Maritime, décision approuvé par le commissaire de la république le 04.12.37 s/n° 2673.;


- Nommé chef de groupement (ou chef supérieur) par décision n°902 du 11 avril 1938 par le commissaire de la république française au Cameroun.’’
;

Malgré cette remise en confiance de Bidjocka dont le rôle fut effectif dès le 11 avril 1938, les prévisions du Ngambi une fois de plus allaient se réaliser. Car ce nouveau chef de canton allait décéder au grand dam la population et de l’administration.;



b) Sa mort et sa succession à la tête du canton Ndog-bessol
L’oracle avait dit à Bidjocka, la femme te sera remise. Si tu l’as ramène, tu mourras. Est ce à dire que son décès serait provoqué par la reconquête de son commandement ? Officieusement oui, car au vu des dires des uns, il avait certainement été empoisonné.;


En effet, ce fut le 14 juillet 1938, donc exactement quelques mois après son retour au pouvoir que BIDJOCKA BI TUM à l’exemple des autres chefs de la subdivision et comme il était de coutume, alla à Eséka. C’était en l’honneur de la fête nationale française du 14 juillet que les chefs indigènes, notables, administrateurs français devaient célébrer ensemble. A son retour de cette fête, affirme E. Bidjocka, le 16 juillet, il ne put dormir, il tourna en rond et parut troublé, il pressentait sûrement quelque chose ; mais la mort fut victorieuse et le 17 juillet 1938, il rendit l’âme au petit matin. De fait : ‘’les gens étaient jaloux de la prospérité de mon père, on l’a atteint car cette nuit, il s’était penché quelque part pour se mettre à l’aise et au petit matin, à cet endroit toutes les herbes étaient brûlées marque d’un puissant poison.’’;


Une inquiétude naissait du côté de l’administration, car il se posait une fois de plus le problème de succession. Il fallait trouver un collaborateur valable de la trempe de Bidjocka mais ce n’était pas aisé d’autant plus que ‘’la difficulté liée au choix du successeur rendait la tâche pénible.’’ Une longue période d’attente s’en suivit dans la mesure où au niveau de l’administration trouver un digne remplaçant était difficile, déjà que Bidjocka n’avait laissé que des fils en bas âge ; par ailleurs concernant la population locale, des remous naquirent à propos de l’éventuel successeur du chef défunt.;



Le règne mouvementé du Chef BIDJOCKA sous la France


CHAPITRE V : LES NDOG-BESSOL ET L’EXPERIENCE FRANÇAISE

Le traité de paix de Versailles du 18 juin 1919 qui établissait la création de la société des nations donna une nouvelle orientation à la gestion du territoire jadis occupé par l’Allemagne non sans une vive protestation de cette dernière. Dans cette optique le Cameroun allait devenir territoire sous mandat français et anglais de 1919 à 1945. La région d’Edéa sera ainsi gérée par l’administration française.



2- La reconduction de la chefferie supérieure Bidjocka
L’administration française a adopté dans leurs grandes lignes les procédés de l’administration allemande,[1] comme nous l’avons précédemment souligné, malgré quelques modifications liées à la politique coloniale de chaque système, des dénominations telle la chefferie indigène ont survécu.

a) La réhabilitation de Bidjocka bi tum sous la domination française
«[…] beaucoup de cadres laissés par les Allemands reprennent du service auprès de l’administration française […]»[2] Ce fut le cas de Bidjocka bi tum grand chef au temps des Allemands.
En effet, retrouvé dans la collaboration avec l’administration française, nos informateurs justifient cette reconduction par une supposée intelligence de Bidjocka qui su se distinguer des autres membres de sa communauté grâce à son précédent exercice de la fonction de chef supérieur. »[3]
C’est suite à cette collaboration et dans ses prérogatives de chef
supérieur de la région Ndog-bessol que « Bidjocka chef de Sendé’’,[4] notable indigène fut désigné assesseur auprès du tribunal indigène de la subdivision d’Eséka le 09 juin 1917.[5]
Il est donc certain que malgré son exil en fin du règne allemand, BIDJOCKA BI TUM avait réussi à obtenir les faveurs et la confiance de l’autorité française ; en plus grâce à la coercition qu’exerçait l’administration sur la population locale par le biais de l’indigénat, ce grand chef à l’instar des différents autres du territoire sous mandat, a su se faire craindre et obéir par ses congénères. Par ailleurs, son rôle n’étant pas particulièrement différent de celui qu’il avait au temps des Allemands, il lui revenait de :
· Transmettre à la population les directives des autorités administratives et de veiller à leur exécution.
· Concourir sous la direction des autorités administratives compétentes, au maintien de l’ordre public et au développement économique, social de leur unité de commandement.
· Collecter les impôts et taxes dans les conditions fixées par la règlementation
· Fournir la main d’œuvre pour les travaux de mise en valeur commencés par les Allemands. C’est pourquoi il ressort que : « les chefs indigènes ont été les principaux artisans du moins des collaborateurs précieux de notre œuvre de mise en valeur du pays […]. »[6]

Ces différentes actions légitimées par l’administration concourent à faire croire que la chefferie est une institution devant assurer la stabilité de l’organisation administrative ; elle permet dès lors de matérialiser l’omniprésence de ladite administration au sein des communautés locales. Dans le même ordre d’idées, durant une quinzaine d’années environ, le chef supérieur Bidjocka fit preuve de bravoure et d’adresse dans ses attributions,[7] malgré la disparité des groupes ethniques placées sous son autorité.
Cependant, cette prééminence du chef Bidjocka dont l’autorité était notoire ne faisait pas l’assentiment de tous et surtout des membres des lignages, ce qui allait contribuer à sa dépossession,[8] en ce sens que traditionnellement, le peuple bassa et Mpoo étant habitué à un chef de clan libéral, supportait mal l’hégémonie et la domination d’un chef étranger ; ceci est attesté entre autre à travers ce propos : « […] D’aucuns vont jusqu’à affirmer que l’installation d’une chefferie cantonale Ndog-Ndjoué à Bat Bat […] n’avait pour but que de contrer l’hégémonie du chef supérieur Ndog-bessol installé à Badjob .»[9] Ce qui marque l’observation des luttes d’influence dues à la création de ces chefferies artificielles c’est-à-dire qui ne tenaient pas véritablement compte des contingences ethniques et spatiales.
A côté de cette hypothèse, une autre frange de la population estime que la déchéance de Bidjocka bi tum fut la résultante de ses propres incartades.

b) La destitution de Bidjocka bi tum
Comme il a été souligné plus haut, l’administration de la France mandataire n’admettait pas de faute de la part des chefs indigènes dans l’exercice de leurs fonctions. La sanction encourue pouvait aller de l’exil à la destitution. Bidjocka bi tum, chef supérieur Ndog-bessol n’échappa pas à cette règle. Dès 1932,[10] il perdit de sa crédibilité auprès de ses supérieurs hiérarchiques et fut destitué.

à cette règle. Dès 1932,[11] il perdit de sa crédibilité auprès de ses supérieurs hiérarchiques et fut destitué.
Ceci étant, différentes versions tendent à expliquer ce fait historique. La première associe cette destitution à une machination car : « en 1932, Bidjocka fut destitué de ses pouvoirs pour ivrognerie, à la suite des plaintes non fondées, […] par suite de connivence et conspiration tramées par Matip ma Ngué et Oum Gwet, tous deux alors fonctionnaires à la subdivision d’Eséka, et appartenant à la même tribu que ce dernier chef».[12] Il semblerait à ce niveau que ne sachant ni lire, ni écrire, Bidjocka qui se faisait assister par ses deux cousins qui passaient pour être ses frères le conduisirent volontairement à la faute dans la mesure où ils commandaient des produits Européens dont le vin, à crédit. Ils s’assuraient par ailleurs que ces commandes étaient notées ainsi que leur non payement ; visant ainsi à discréditer le chef supérieur.[13] Les dettes non payées devenues trop lourdes, la situation fut portée à la connaissance du chef de subdivision, Bidjocka fut révoqué de ses fonctions. Cette traîtrise serait justifiée par la non acceptation d’un Ndog Keng comme chef des autres lignages Ndog-bessol,[14] à l’instar des Log-Mataa.
De même la deuxième version fait état d’une négligence et même d’une conduite indigne de Bidjocka. Ceci est traduit par ces termes : « A l’époque française, précisément aux alentours de 1930, un vin rouge fut mis sur le marché au nom de Nabao que les villageois appelaient ‘’bilâm bi môndô’’ ou vin nouveau. Suite à la publicité que les indigènes faisaient autour de ce vin, le grand chef Ndog-bessol alla à Eséka voir le distributeur nommé Jean Massau, pour acquérir le nouveau vin. Une bouteille coûtant 85 centimes, il donna 70 centimes et contracta une dette de 15 centimes en promettant de la régler dans quatre jours et comme gage il remit au distributeur son carnet de chef. N’ayant pas respecté sa date, Jean Massau alla voir le chef de subdivision Sando[15] et lui remit ce carnet. Le chef de subdivision fit ainsi appeler Bidjocka et lui demanda son carnet de chef. Incapable de donner une justification crédible, il perdit de son estime devant les administrateurs. »[16] Suite à cet acte irréfléchi et indigne, Bidjocka bi tum avait manqué à sa mission car on n’imaginait pas qu’un chef donnât son carnet de chef (témoignant de son autorité) pour si peu ; cette erreur lui fut fatale et on lit d’ailleurs dans un extrait de son carnet de chef de 1938, notamment sur la partie conduite et punitions : ex-chef supérieur, Bidjocka bi tum est destitué en 1932 pour ivrognerie.[17] Et sans aucune autre forme de procès, il fut remplacé par un membre de son clan appartenant à un lignage et village voisin.

3- Le transfert de la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol
Comme nous l’avons souligné plus haut Bidjocka aux yeux de l’administration française avait faillit à sa fonction. Sur proposition de certains de ses proches parents notamment Matip ma Ngué, il fut remplacé par le frère de ce dernier nommé Gouet bi Bodog.

a)Gouet bi Bodog : L’homme et les traits majeurs de son règne
Gouet bi Bodog était un Log Mataa de la tribu Ndog-bessol né à l’époque Allemande[18] sans plus de précision. Fils de Bodog Gouet et de Ngo Komol Gombi, il était illettré, car à l’époque, les parents méprisaient l’école.[19] Père d’une famille nombreuse, il avait 91 femmes dont la plupart acquises sous son autorité de chef supérieure.
De fait, suite à la déconvenue de Bidjocka, Matip ma Ngué, écrivain interprète car instruit, fit appeler son frère consanguin Gouet, et le présenta au chef de subdivision d’Eséka comme postulant au trône. Par sa posture dit-on et son caractère posé, il plut à l’administrateur d’une part ; d’autre part ses origines communes avec le précédent chef furent également mises en exergue pour sa crédibilité en tant qu’éventuel chef.[20] C’est ainsi que d’une source à un autre, en 1929[21] ou 1932 il fut promut à la chefferie supérieure de la région Ndog-bessol. De ce fait, la chefferie fut transférée de Bidjocka à Mbengue séparés de plusieurs villages à la satisfaction des Log Mataa.[22]
Après son investiture, il se mit à l’œuvre. Ses attributions n’étaient guerres différentes de celles des autres chefs de l’époque. Cependant la satisfaction quant à sa tâche était générale car il passa pour être ‘’le chef le plus respectueux et le plus respecté de l’époque’’.[23] Avec Gouet bi Bodog, on n’observait pas d’abus dans le traitement des indigènes, ni dans l’imposition car il était droit et humain.
Etant tout à fait conscient du fossé qui existait entre l’administration et la population à cause de la divergence idéologique, il s’efforçait de satisfaire les deux parties même s’il devait le plus servir l’administration.[24]
De fait, il fit entretenir les pistes conduisant au rail pour l’acheminement des produits agricoles et essences forestières et même pour la bonne circulation des administrateurs coloniaux en bref la principale innovation liée à son pouvoir fut l’érection de Mbengue comme premier centre d’Etat civil ;[25] et là, les gens venaient de partout dans la subdivision d’Eséka pour déclarer les naissances. Seulement, compte tenu des conditions de déplacement malaisées de l’époque beaucoup aussi échappaient à cette pratique.
A l’opposé du premier chef supérieur qu’il remplaça, Gouet bi Bodog se sépara de son règne de façon différente. En fait il mourut le 15 février 1933.[26] Mais pour quelques uns cette mort fut provoquée ; à cet effet, il apparaît que, au nom du chef Gouet bi Bodog, un de ses frères consanguins Bodog Eugène organisa une tournée de vol au cours de laquelle il se fit accompagné par quelques éléments de la police du chef ; il pilla la population de façon considérable. Celle-ci affectée demanda au chef de livrer le malfaiteur afin qu’il fut jugé traditionnellement ; ayant refusé de répondre à cet appel, Gouet fut tué dans la sorcellerie.[27] Compte tenu du fait qu’il ne laissa pas de fils âgé, c’est l’un de ses frères Mbea Bodog qui lui succéda.

……………………

[1] Maraball, ibid. p. 151.
[2] Ch. Santoir et A. Bopda, ibid. p. 13.
[3] Hagbe Djongi, ibid.
[4] Autorité étendue dans les limites de l’actuel arrondissement de Messondo.
[5] ANY J.O.C n°14 juillet 1917. Arrêté portant création d’un tribunal indigène dans la subdivision d’Eséka.
[6] A.N.Y, Apa 11689, opcit, région Sanaga Maritime cité par D. Abwa, ibid, p 570.
[7] E. Bidjocka, ibid.
[8] Hagbe Djongi, ibid.
[9] Ce chef était plutôt installé à Bidjocka.
[10] A.N.Y, 3 AC 1975, Ndog-bessol…. ibid.
[11] A.N.Y, 3 AC 1975, Ndog-bessol…. ibid.
[12] Ibid.
[13] E. Bidjocka, ibid.
[14]D’Origine étrangère dit-on comme souligner au 1er chapitre P 10
[15] Qui serai le chef de subdivision Sandeau qui régna quelques temps à Eseka.
[16] Hagbe Djongi,ibid
[17] A.MINAT APA, C/n°00010072, carnet de chef de bidjocka Bi tum
[18] Ngué Bodog, ibid.
[19] Hagbe Ndjongi, ibid.
[20] ibid.
[21]ANY JOC n° 209, arrêté du 17 janvier 1929, portant composition du conseil de notables de la circonscription d’Edéa, p 172.
[22] A. Minat, ibid.
[23] E. Bidjocka, ibid.
[24] Mis ma Ngué, ibid.
[25] Hagbe Djongi, ibid.
[26] A. Minat, APA, chefferie Eséka, C/ n°747 du chef de la circonscription d’Eséka adressé au commissaire de la république française, pour nomination d’un chef supérieur de la région Ndog-bessol.
[27]Hagbe Djongi, ibid

Le règne de Von BIDJOCKA BI TUM sous le 2ème reich

Le chef Supérieur BIDJOCKA et ses collaborateurs.
3- Le rôle de Bidjocka bi Tum et son départ d’exil
En tant que grand chef, l’existence de Bidjocka bi tum et par ricochet du peuple qui lui était dorénavant soumis ne connurent plus la même consistance.

a) Ses attributions
« L’administration Allemande s’appuyait sur les services des autorités traditionnelles locales afin de faciliter sa tâche dans l’administration des indigènes d’autant plus que le Reich ne tenait pas à s’engager dans de nombreuses dépenses. »[1] Ceci dit, le Chef apparaît comme un collaborateur de l’administration, un médiateur entre l’administrateur et la population et ce, d’autant plus qu’à leur arrivée dans la région, les Ndog-bessol évitaient tout contact direct avec les Blancs qu’ils considéraient comme des hommes « Mbéi » ou albinos. Dans cette optique, Bidjocka bi tum se révéla être un parfait collaborateur de l’administration dont il garantissait les intérêts dans sa zone d’influence.[2]
Pour ce faire, le grand chef s’entoura d’une équipe de notables pour mieux administrer sa population, en fait chaque chef avait sous ses ordres un nombre variable de sous chefs et de notables qui le représentaient dans toute l’étendue de sa royauté et se partageaient son pouvoir.[3]
Il transmettait ainsi les ordres venus du Gouvernement tout en veillant à leur exécution et pour se faire obéir, il s’appuyait sur la police coloniale; car « les chefs administratifs ne doivent leur autorité qu’à l’appui que leur procure le pouvoir colonial, cet appui révocable étant proportionnel à leur docilité. »[4]
En outre, il était chargé de ‘’recruter’’ les porteurs pour les caravanes consacrant la tournée des Blancs et le transport des marchandises. En tant que chef, il devait aussi veiller à l’entretien des pistes, la réquisition des indigènes pour les travaux publics et privés et en ce sens, les informateurs révèlent que, Bidjocka bi tum avait effectivement envoyé beaucoup d’hommes dans les dures travaux de construction du chemin de fer du centre devant relier Douala au Tchad en passant par Yaoundé. C’est pourquoi en signe de reconnaissance pour son dynamisme et sa contribution, le Gouverneur impérial d’Allemagne, à travers ses représentants locaux décida de porter son nom au fronton de la toute première gare de son village. Depuis ce temps, la gare porta le nom du village « Bidjocka. » Mais depuis 1983, la gare porte plutôt le nom de « Hikoa Malep », on ne sait trop pourquoi.[5]
Son rôle était aussi celui de la collecte des impôts servant à l’entretien de la colonie ces taxes d’ailleurs déplaisaient grandement à la population locale. Par ailleurs, il avait l’autorisation selon le droit coutumier de rendre justice, toutefois ses pouvoirs judiciaires se limitaient exclusivement aux affaires indigènes. En ce sens, ‘’les chefs jugeaient les affaires civiles dont les criminelles dont la peine n’excédait pas 100 mark et les affaires criminelles dont la peine n’excédait pas 300 mark ou si mois d’emprisonnement’’.[6]
Dans l’exercice de ses fonctions, Bidjocka bi tum faisait constamment des tournées dans tous les coins de son aire de commandement pour s’assurer de la normalité des choses et s’informer des irrégularités éventuelles dans la vie quotidienne du peuple sous protectorat.
L’appréciation de ses congénères sera mitigée car au départ, les Ndog-bessol du moment que le Blanc restait à l’écart de leur cercle d’évolution ne se sentaient aucunement offusqués par leur présence ; mais dès lors que le nouveau chef commença à leur exiger des devoirs en déphasage avec leurs us et coutumes, la réaction ne se fit pas attendre, réaction qui valut sa révocation au roi des bassa, mpoo et bati.[7]

b- Le départ d’exil
D’aucun affirment sans trop de précisions cependant que, la réaction des Ndog-bessol face au fonctionnement administratif se traduisit par ‘’Likan li Njée Gwat’’, sorte de fétiche où l’homme se métamorphosait en panthère pour semer la discorde[8] tant du côté de la population locale que de celui des Blancs ; pour d’autres cette magie n’était pas une réaction contre l’envahisseur, mais juste une fois de plus la manifestation de la méchanceté de l’homme noir à l’égard de son frère.[9]
En effet, ces panthères aux dires des informateurs et précisément quelques saisons après la venue des Allemands, s’employaient à tuer les Ndog-bessol et surtout ceux qui se rapprochaient un peut trop des colons ; des plaintes naquirent auprès de l’administration pendant que d’autres optèrent pour la fuite car au fil des jours, les choses s’empiraient ; on fuyait l’espace qui constitue aujourd’hui le canton Ndog-bessol pour aller se réfugier dans des villages voisins tels Makondo, Bitoutouk.[10] De même à cause du ressentiment qui était né chez la population envers le nouveau chef, il fut accusé d’appartenir à ce cercle d’hommes panthères. Mais face aux autorités coloniales, il niait les faits disant que c’était un non sens que de croire aux fétiches et il prit comme référence la parole d’évangile[11] étant déjà devenu un fervent chrétien. En tant que chef, il lui fut demandé de gérer la situation et vérifier la véracité ou non du phénomène, afin que tout coupable fut pendu.
Cependant, la tuerie se poursuivit et un jour lors d’une tournée d’un major Allemand dont le nom ne fut pas précisé, les indigènes apportèrent le corps d’une jeune femme qu’on disait entretenir des relations avec un colon, déchiqueté par une panthère disait-on, le grand chef fut confondu et ayant préalablement dénié l’existence d’une telle pratique, l’administration Allemande très pointilleuse à l’époque le jugea à la cours de district de Douala où il fut condamné à la pendaison pour complicité.[12] Mais entant que fervent chrétien, les missionnaires de l’époque qui exerçaient à la mission protestante de Sendé Bidjocka, le soutinrent en affirmant que cet homme à la conduite exemplaire ne devait pas être pendu. Il obtint gain de cause et ne pouvant pas le garder au village ni sur son trône, on décida de l’exiler.
En effet, il fut condamné à l’exil à Sangmelima ; il fit d’abord escale à Lolodorf[13] avec sa cours, une de ses femmes et enfant. Par la suite ils se rendirent à Sangmelima par pirogue. La date exacte de son départ reste un mystère, même la durée de son exil. Mais les Ndog-bessol affirment qu’aucun délai ne lui fut donné ou plutôt on lui remit six noix de coco sèches qu’il devait planter à Sangmelima, et lorsque ces noix auraient mûries et séchées, son exil serait fini. Il fit là-bas 12 ans, affirment le chef Hagbe Ndjongi, ce qui semble illogique quand on sait que dès 1916 on le retrouvera au service de l’administration coloniale française.[14] Pour le planteur E. Pala, il ne dura pas car le sol et le climat favorables permirent aux noix de vite croître. La deuxième hypothèse de la durée réduite semble logique ; car si on se réfère à sa date d’intronisation qui se situe autour des années 1912 et la date de départ des Allemands, notamment 1916, on conclue qu’il n’y avait pas duré. Peut être la désorganisation née du premier conflit mondial avait-elle facilité son retour prématuré ?
Il faut dire que suite au départ de BIDJOCKA pour Sangmelima, son règne à coup sûr connut des retouches et son territoire de commandement fut morcelé. De là naquirent d’autres chefs à l’instar de :
- Nyoungo Toko (de Yakalak à Yadie)
- Nkan Dissuke (de Yadie à la limite Batanga)
- Baleba ba Bimaï (de Yadie à la limite de Somo)
- De Yadie à la limite des Beti c’est-à-dire zone englobant le village de résidence du chef déchu à savoir BIDJOCKA, cette partie fut administrée par les Allemands eux-mêmes.
Cependant, la vacance du trône ne s’éternisa pas car à partir des bouleversements qu’entraîna la guerre, BIDJOCKA revalorisa son autorité.

[1] V.J. Ngoh, Cameroun, 1884-1985 cent ans d’Histoire, Yaoundé, Ceper, 1990, p. 37.
[2] Hagbe Djongi, ibid.
[3] Maraball, ibid. p 150.
[4] Ch. Samtoir et A. Bopda, Atlas régional, ibid, p.5.
[5] A. MINAT, lettre du 04 04 1994 adressée au Président de la République par la famille Bidjocka pour la restitution des chefferies du 1er et 2e degré, p.2.
[6] V.J.Ngoh, Cameroun…, p. 40.
[7] M. Ndjab, chef de canton Ndog-bessol, 56 ans, Eséka, le 10 août 2006.
[8] E. Bidjocka, ibid.
[9] Mis ma Ngué, ibid.
[10] Hagbe Djongi, ibid.
[11] E. Bidjocka.
[12] Hagbe Djongi, ibid.
[13] On affirme qu’il existe un village dans ce lieu au nom de Bidjoucka, nom donné en mémoire de son séjour là-bas.
[14] A.MINAT.APA dossier n°2070 Eséka, lettre adressée au chef de région de la Sanaga Maritime par Bikim Thoum et transmise par Bernier, chef de subdivision d’Eséka, 1939.

L'accession au trône de BIDJOCKA BI TUM

Photo 1 : Bidjocka bi tum lors de son commandement à la tête du canton Ndog-bessol en 1938. Source : Archives familiales Bidjocka, Yaoundé
L’histoire épique de Sa majesté royale BIDJOCKA BI TUM, Premier Chef Supérieur Bassa Bati Mpoo.

(Extrait de NGO MBENDA FRIDA : « Les Ndog-bessol : De la veille de l’institution coloniale de la chefferie à la naissance du canton (1911-1938) » mémoire de DIPES II, Yaoundé, 2000).

b) BIDJOCKA BI TUM à l’avant-garde de la chefferie traditionnelle Ndog-bessol : sa filiation et les circonstances de son choix

b.1- La filiation
Bidjocka bi tum né à Bidjocka[1] était le fils de Tum Makang ma tum Liboma et de Ngo Matet ma Mbong Mbella Bitong de la tribu Ndog-Keng. Il sera difficile de donner son âge mais on sait que lors de la présence Allemande dans la région, c’était déjà un jeune homme.[2] Il faut aussi dire que issu d’une famille nombreuse, il n’était ni l’unique enfant, ni le plus âgé. Parmi ses frères on peut citer : Njen Tum,Gwet bi tum, Ndenga tum, Likon litum, bikim tum, bodog tum.[3]
Son éducation était riche des valeurs et coutumes locales n’ayant pas fait l’expérience de l’école occidentale à cette époque ; ceci dit « le jeune Bidjocka bi tum s’était attaché à son père comme une ombre. Le père Tum Makang n’entendait se déplacer qu’en compagnie de cet enfant. Ce patriarche se déplaçait effectivement pour les réunions du pays. Celles-ci étaient régulières dans tous les coins et surtout au village de Song Yayi qui fut à l’époque le principal foyer Elog-mpo’o à Edéa […]. Les ordres du commandant à Edéa arrivaient chaque fois chez le patriarche Song Yayi qui les diffusait dans tout le haut pays. »[4]. Ceci traduit le fait que, ce futur chef était assez avisé sur les rouages de la culture locale. Pouvons nous dire à partir de là que cet état de choses le prédisposait déjà à être chef ?

b.2- Les circonstances de son choix

« Bidjocka bi tum, fils de tum Makang était le premier grand chef, chef supérieur des bassa et bakoko au temps des Blancs » affirmait un informateur[5]
En effet, après l’échec des chefferies dites de famille, le dignitaire Mbome Pep promut au futur poste de chef supérieur par les Allemands avait disparu on ne sait trop comment de la pirogue qui lui faisait traverser la Sanaga pour son départ en Allemagne. Dès lors l’administration entrepris de chercher un autre chef au sein de la subdivision d’Edéa. Sur ce propos, vers 1907 une dépêche fut envoyée à Yadie par le commandant d’Edéa ; Bidjocka bi tum accompagna encore son père pour en prendre connaissance. A cet effet, « les gens montaient de Yakalak-Yasoo, Yambong et Badjob. Le chef Blanc sera présent et sera interprété par Mintumba Njanjee, fils de Njanjee, l’un des patriarches de la côte qui s’opposait à la pénétration étrangère. »

Il ressort de ceci que ce jour, le capitaine Wehlan, au nom du Gouvernement impérial donna le triste récit de la disparition de Mbome Pep en précisant que les Elog Mpoo étaient bâtis sur une coutume et une tradition que eux les Blancs ne voulaient pas violer, mais plutôt renfoncer. C’est pourquoi le Gouverneur Puttkamer (avant son remplacement en mai 1902) l’envoyait prévenir Song Yayi qu’il viendrait l’ériger au rang suprême en remplacement du disparu ; et que si Song Yayi s’estimait trop vieux et incapable de supporter cette charge, qu’il s’entende avec son peuple pour présenter un de ses fils ou quelqu’un d’autre du pays.[6]

Après le départ du capitaine pour Edéa, il fallut tenir une réunion la nuit suivante. N’ayant pas compris exactement les termes de la déclaration, Song Yayi se le fit répéter par Mintoumba Njanjee en ces termes : « Seigneur, le Blanc a dit que depuis la mort de notre frère Mbome Pep, tu passes pour le plus puissant de notre pays. Ce n’est pas seulement nous qui le connaissons, mais eux les Blancs aussi. C’est pourquoi le Gouvernement Von Puttkamer viendra ici pour te placer au faîte du pays (en d’autre terme introniser roi). Il te donnera tout ce qu’on donne à un Von plus le bâton de commandement comme ils ont fait au Von Duala Manga Bell. Mais si tu refuses, c’est toi qui choisira parmi tes enfants dans le reste du pays celui qui deviendra Von.

Oh s’écria le patriarche, mon malheur est grand ! Que les dieux de nos pères me traitent dans toute la rigueur. Après avoir tué celui que nous respections, c’est moi que ces fantômes cherchent maintenant. Non je ne veux pas. Le peuple est souverain, cherchez dans tout le pays des gens d’où qu’ils viennent pour être présentés au Gouverneur ; lui-même saura qui il voudra. »[7] Cette réaction marque quelque peu la réticence qu’avaient nos ancêtres et surtout dignitaires, par rapport à l’homme Blanc car ils représentaient sans nul doute pour eux un danger. Ainsi, suite au refus du plus respecté, le peuple proposa :

- Mintoumba Njanjee de (Yakalak)
- Ngwang Mongo de Yamoongo (Ndog-Moongo)
- Bidjocka bi Tum de Yabisso (Ndog-bisso)[8]
Mais de ces trois candidats un seul fut retenu, notamment Bidjocka bi Tum.

c- Son investiture
Elle se fit quelques années plus tard par l’administration coloniale ; mais avant ce moment, les ressortissants Ndog-bessol de la future subdivision d’Edéa s’activaient pour avoir un certain contrôle de la situation, ainsi nous pouvons dire que son couronnement respecta deux étapes.

c.1- La consultation de l’oracle (Ngambi)
Dès son retour du village de Song Yayi, le père Tum Makang dépêcha des émissaires avec le nœud traditionnel « Mbang » chez certains dignitaires proches, afin de leur donner le récit de la rencontre entre le commandant et le peuple. Assistaient ce jour là, entre autres :

Bahabege Essounga de Maèn
Seg Mbô de Maén
Mbudy Lamal de Yambong
Mandeng Sogmem de Badjob
Bassogog Bassogog de Yabii
Nsas Lipenda de log pagal
Eaog miss de Ndog Nkeng[9]

Tum Makang fit donc tout le récit à ses congénères non sans une certaine angoisse et les dignitaires présents furent informés de la mort du grand dignitaire Elog-Mpoo et de la candidature de leur fils Bidjocka bi Tum pressenti pour le remplacer.

C’est ainsi que, comme la coutume l’exigeait à l’époque, face à tout grand évènement, il fallait consulter les oracles,[10] ce qui fut fait séance tenante. Le pratiquant du Ngambi ce jour là était Nyeg Bissu’u ; les questions suivantes furent posées et leurs réponses :[11]

Questions
Réponses
1) D’où sortira le roi ? Yakalak, Yabii, Yamoongo, Yabisso’o ?
Yabiso’o
2) Le roi sera-t-il jeune ou vieux ?
Jeune
3) Sera-t-il le fils de Tum Makang ? ou un autre ?
Tum Makang
4) Restera-t-il longtemps ou sera-t-il tué comme Mbome Pep ?
Ne sera pas tué mais sera traduit par son peuple
Ne peut-on pas désigner un autre jeune ?
Non les Blancs insisteront sur le fils de Tum Makang.

c.2- L’intronisation
Le 08 janvier 1911 était le rendez-vous. Au lieu du Gouverneur Von Puttkamer, c’est l’officier Wehlan qui revint accompagné du chef de police Zenker et du chef de patrouille Kuntz et les interventions se firent comme suit :

· Chancelier Wehlan : Dignitaires et notables ! J’étais dans ce village vous donnez la nouvelle de la mort de votre dignitaire plénipotentiaire Mbome Pep, nous voulions l’amener chez nous, mais en cours de route, il est sortit du bateau et tombé à l’eau. Nous avons placé à cet endroit un poteau flottant lumineux dans la mer que vos enfants et les enfants de vos enfants iront voir pour se rappeler de l’évènement et dans son village Pongo nous avons érigé un monument lumineux en sa mémoire. Nous savons combien cette disparition vous tient à cœur ; mais vous n’êtes pas les seuls. C’est pourquoi le Gouverneur Von Puttkamer m’a envoyé vers vous pour vous dire qu’il veut compenser cette perte par la désignation d’un de vos dignitaires comme Von (roi) dans votre pays à l’instar de Bell, Dika Akwa, chez les Duala.[12]


Plus loin, le chancelier aurait continué en ces termes : « le Gouverneur Von Puttkamer n’est pas avec nous aujourd’hui. Il est en congé et de retour il ira à Buéa[13] et c’est le Gouverneur Ebermayer qui sera désormais à Duala, mais la date d’aujourd’hui avait été fixée avant le départ de congé de Von Puttkamer, je suis donc venu régler cette affaire au nom du Gouverneur. »[14]

· Le dignitaire Song Yayi : Commandant, après votre départ le pays entier a tenu une assise ici au cours de laquelle j’ai décliné l’offre que vous m’avez proposée. Mon peuple m’a habitué à venir ici me consulter pour plusieurs sujets ; et si je deviens suprême maintenant, je serai soumis à beaucoup de déplacements dans tous les coins du pays ; ce que mon âge ne me permet plus. Mais le peuple sous son arbitrage a pu sélectionner trois jeunes hommes.


Il s’agit de :
- Mimtoumba Njanjee, fils du dignitaire Njanjee à Yakalak
- Ngwang Moongo de Ndogmoongo
- Bidjocka bi-tum, fils du patriarche Tum Makang à Yabisso.
Après une brève concertation à huit clos, la séance se poursuivit.

· Le chancelier Wehlan : Nous avons vu les trois prétendants que le dignitaire Song Yayi nous a présenté. Les deux premiers sont suffisamment connus.
Mintoumba est le fils du dignitaire Njanjee qui nous a causé des misères en tuant nos envoyés sur les chaloupes en 1895, nous ne pouvons plus accepter de faire de son fils le roi de ce vaste pays

Le deuxième, Ngwang Moongo est un trafiquant. Il y a longtemps que nous l’avons agréé pour nous aider à la pacification du pays ; nous lui donnons du sel, des étoffes, des conserves, des stockfish pour venir vous les distribuer gratuitement au lieu de cela, il vient vous les vendre et encaisse les réserves. C’est vous dire qu’il a un procès sur le dos et doit comparaître au tribunal pour haute trahison. Pour aujourd’hui, il n’a pas de place ici.

Mais dites moi, qui est ce jeune homme dont je n’ai jamais entendu parler ?

· Le dignitaire Yomba Pep : Commandant, notre peuple est vaste. C’est le même peuple qui part des rive de la Dibamba jusqu’aux frontières avec les Yahionde. Depuis que nos dignitaires Toko Ngango et Njanjee sont morts, les gens du côté de la Dibamba sont restés sous le royaume de Von Bell.

Mon frère Mbome Pep est resté maître du pays ; comme il est mort aussi pour le remplacer nous avons pris ces trois jeunes gens : deux de la basse Sanaga et l’autre du Haut pays pour faire l’équilibre. Les deux que vous venez de refuser sont de la basse Sanaga. Il ne reste plus que le troisième qui sort du haut pays.[15]

· Le dignitaire Song Yayi: […] les deux premiers présentés n’ont pas eu de chance. Mais Bidjocka bi tum, fils du patriarche tum Makang de la famille Ndog-Keng de la tribu des Yabisso’o a coutume d’accompagner son père dans les cérémonies traditionnelles du peuple et dans les rencontres comme celle d’aujourd’hui. Il est parfaitement au courant des rites des Elog-Mpoo et à force de descendre à Yadie, il parle correctement Allemand maintenant, dites-nous seulement votre point de vue.

Ceci dit, le Chef de police Zenker prit la parole et dit : « vous ne remarquez pas que ce jeune homme est d’une beauté angélique, sa taille se rapproche de celle de Von Manga Bell. Impressionnant, il a un regard perçant et paraît intelligent pour pouvoir dominer les gens. Même en Allemagne, il est rare de rencontrer des gens aussi beau que Bidjocka. A mon avis, il est tout indiqué pour ce commandement. Sur ce, le chancelier Wehlan se leva et prit Bidjocka par la main, le monta sur un tabouret au milieu de la cour déclara : « au nom du Gouvernement impérial d’Allemagne et sur ordre de Von Puttkamer, Gouverneur impérial à Kemerun, j’institue ce jour pour régner sur ce pays le jeune Bidjocka tum, fils de tum Makang et de Ngo Matet ma Mbong. Il incarne autorité aux yeux des populations et la tradition aux yeux du Gouvernement impérial d’Allemagne tout le pays lui doit désormais respect et obéissance.»[16] Après ce jour, il fut intronisé solennellement en mai 1911 par le Gouverneur Ebermayer, en présence de Kaiserliche Bezirksamtsmann (chef de circonscription) et ladite cérémonie consistait à la remise d’effets. Il lui fut remis.

- 1 bâton de commandement peint aux couleurs nationales Allemandes
- 1 casque, genre marin
- 5 tenues Khaki composées de chemises et pantalons aux jambes effilées
- Des paires de guêtres montant jusqu’aux genoux
- Un portrait de l’empereur d’Allemagne
- Un livret[17]


Le Gouverneur conclut en ces termes : « dès aujourd’hui tu es roi de ce pays aux yeux des représentants de l’empire Allemand » le pays en question s’étendait de l’embouchure de la Sanaga et du Nyong jusqu’aux frontières béti et de Somo jusqu’à la limite Batanga. En d’autres termes : il fut institué grand chef de Mpoo bassa et bati ;[18] issu de la grande famille Yabisso’o (Ndog-bessol) ce choix représentait quelque peu une sorte de triomphe et de fierté pour ceux du « haut pays. » A compter de ce jour quelle fut la suite des évènements ? Mieux encore comment allait-il gérer cette autorité ?

[1] Village initialement appelé Sendé.
[2] E. Bidjocka, ibid.
[3] ANY 3 AC 1675. Ndog-bessol (Cameroun), chefferie supérieure, lettre de candidature D. Bidjocka adressé au Directeur des Affaires Politiques d u Cameroun le 3 octobre, 1951.
[4] Arch. Familiale sur la chefferie supéprieure Bidjocka, « Bidjocka bi tum, premier roi des Mpoo-bassa, bati », par Bidjocka Albert, chef traditionnel, p.3.
[5] E. Pala, planteur, 67 ans, Sodibanga, le 04 03 2006.
[6] Arch. Familiales, ibid, p.3
[7] ibid, p.4
[8] E. Bidjocka, ibid.
[9] Arch. Familiale, ibid.
[10] Hagbe Djongi, ibid.
[11] Arch. Familiale, ibid, p.5.
[12] Arch familiale, ibid, p. 5.
[13] Le congé évoqué serait plutôt la destitution de Von Puttkamer en 1907 qui lui a valu son remplacement par Theodor Seitz, Gleim (1910) et Ebermeir (1912) les villes de Duala et Buea évoquées ici sont justifiées par le fait qu’il y a eu trois capitales successives ; Duala (1885-1910) Buea (1901-1909) et Yaoundé.
[14] Arch. Familiale, ibid, p .5
[15] Arch Familiale, p. 6.
[16] Arch. Familiale, ibid. p .7.
[17] Livret qui contenait des informations telles que le nom du chef et la distance séparant son village de la station administrative la plus proche.
[18] Hagbe Djongi, ibid.