25 juillet 2012

Me Sylvestre Mben: «Le tribunal criminel est anachronique»








L’avocat au barreau du Cameroun estime que le texte voté le week-end dernier par l’Assemblée Nationale est une grave atteinte aux droits des justiciables; L’ancien bâtonnier du centre qualifie de partisan ledit texte





Me Sylvestre Mben: Il s’agit d’un texte partisan

L’avocat au barreau du Cameroun estime que la récente loi ne vise pas la bonne administration de la justice.



Quelle lecture faites-vous de la loi instituant le Tribunal criminel spécial au Cameroun?


La loi récemment adoptée instituant le Tribunal Criminel Spécial au Cameroun est l'exemple même d'une législation de panique prise à la date qui vient remettre en cause le caractère moderne, libéral et révolutionnaire du Code de procédure pénale même s'il faut préciser que les magistrats ont refusé d'appliquer le code de procédure. La loi créant le Tribunal criminel spécial viole un certain nombre de principes généraux de droit à caractère universel et de ce point de vue constitue un recul multi centenaire pour ne pas dire multimillionnaire qui était déjà acquis depuis de Code d'instruction criminelle. Il s'agit d'une marche arrière.



Certains estiment qu'elle est une manifestation de l'avancée en matière de gestion du contentieux criminel notamment relatif aux détournements de deniers publics et à la corruption. Qu'en dites-vous?



Il ne s'agit nullement d'avancée mais d'un recul multi centenaire. Ceux qui soutiennent cette loi évoquent la nécessité de la célérité dans l'instruction et le jugement des affaires. Il s'agit là d'une raison peu convaincante. S'il faut reconnaître aujourd'hui que les lenteurs existent quant à l'instruction et au jugement, la solution à préconiser n'est pas la création d'un Tribunal criminel spécial qui foulent aux pieds les principes généraux de droit. L'on a adopté au Cameroun un code de procédure pénale générateur des lenteurs judiciaires. A l'époque du Code d'instruction criminelle, l'on jugeait 10% du contentieux pénal, avec le code de procédure, l'on est passé à 5% du contentieux pénal.


L'on s'est rendu compte qu'avec l'entrée en vigueur du code de procédure pénale, il fallait augmenter le personnel (magistrats et greffiers) ajouter les moyens matériels (les salles d'audience, ordinateurs, matériels de bureau etc.) L'on est donc surpris que l'on opte pour la création d'un Tribunal criminel spécial battant ainsi en brèche, un certain nombre d'acquis, la violation du principe de double degré de juridiction, l'on est jugé en premier et dernier ressort, la violation du principe de la liberté de la preuve en matière pénale, c'est le président du tribunal criminel spécial qui fixe le nombre des témoins alors que dans le code de procédure pénale, prévenu ou l'accusé dresse la liste des témoins qu'il notifie au parquet. Avec la création du Tribunal criminel spécial, nous avons reculé et je pense que la notification réelle de la création de ce Tribunal n'est pas de lutter contre les lenteurs judiciaires mais se situe ailleurs.


Il s'agit de ce que certaines personnes poursuivies dans l'opération épervier, ont interjeté appel des décisions rendues par les premiers juges et ont vu leur accusation revue à la baisse. L'on s'est alors dit qu'en supprimant l'appel, l'on évitera à l'avenir ce type de déconvenues. L'on ne devait pas adopter les textes à partir des considérations aussi partisanes. Des textes de procédures sont fondés sur deux considérations, les droits de la défense et les règles d'une bonne administration de la justice. Il ne devrait être fondé sur autre chose.



Il est dit qu'une fois la sentence prononcée le jugement est sans appel. Cette lecture du texte qui vient d'être pris est-elle exacte?



Cette lecture du texte est exacte et grave. L'article 4 de ce texte dispose que le Tribunal criminel spécial statue en premier et dernier ressort et que ses décisions ne sont susceptibles que de pourvoi. Pareille disposition viole un principe universel de droit, le principe de double degré de juridiction. La possibilité offerte au condamné de former pourvoi ne constitue pas une garantie d'être jugé car pour être jugé à nouveau devant la cour suprême, il faut préalablement obtenir la cassation et l'annulation du jugement rendu par le tribunal spécial. Il apparaît donc que la possibilité offerte au condamné en instance pour se faire juger en cassation est très infime. La suppression du principe du double degré de juridiction abouti à la violation des droits de la défense et à un examen superficiel de l'affaire. Ceci est regrettable parce que les juges d'appel sont en principe plus compétents, plus expérimentés, plus indépendants. Lorsqu'on a à l'esprit les dérives constatées dans l'opération épervier, les violations de la loi et surtout la confusion savamment entretenue entre la faute de gestion et la faute pénale, l'on se rend compte les trois des personnes justiciables devant le tribunal spécial sont sérieusement menacées. Comme je l'ai déjà dit, il s'agit là d'un recul multi centenaire.



La célébration qui est faite de ladite loi fait aussi état de la possibilité qui est offerte aux accusés de payer le montant présumé détourné et d'obtenir l'arrêt des poursuites. Quelle appréciation en faites-vous?



Effectivement les dispositions de l'article 18, prévoit une telle possibilité. Cela s'appelle la médiation pénale, elle était pratiquée dans certaines affaires de l'opération épervier de manière informelle, le législateur vient de formaliser cette pratique. Il s'agit aussi là d'une revendication populaire qui voudrait que l'on récupère de l'argent au lieu d'emprisonner des personnes. Je voudrais émettre une réserve. L'article 18 de ce texte dispose qu'en cas de restitution des fonds, le procureur général peut demander l'arrêt des poursuites sur autorisation du Ministre de la justice.


Il s'agit donc en définitive d'une question laissée à l'appréciation du ministre de la justice. Une grande marge d'appréciation risque d'aboutir à l'arbitraire. Sur quel critère le Ministre de la justice va se fonder pour accorder l'arrêt des poursuites à telle personne qui a restitué les fonds et non à telle autre qui a également restitué les fonds? Le législateur aurait tout simplement prescrit que celui qui paie sort. C'est plus simple.



Il revient que certaines dispositions de cette loi ne sont pas nouvelles pourquoi a-t-elle été ré initiée en ce moment à votre avis?


Seuls les auteurs spirituels peuvent vraiment répondre à cette question. Je voudrai ici donner mon sentiment. Ce texte a vu le jour parce que deux anciens ministres poursuivis ont obtenus gain de cause devant la cour d'appel en ce que l'accusation portée contre eux a été revue largement à la baisse. J'ai entendu parler de combinaisons obliques entre avocat et magistrats cela est regrettable. Les décisions rendues par les magistrats de la cour d'appel et qui sont la cause de ce texte sont techniquement irréprochables et essentiellement fondée sur le droit. S'il ya des personnes qui pensent le contraire je propose un débat public et contradictoire entre les conseils de ces deux anciens ministres et ceux qui soutiennent la thèse de la magouille et de la corruption. Il s'agit là des raisons inavouées mais réelles de ce texte, les lenteurs judiciaires ne sont qu'un prétexte.



Ce texte peut-il s'appliquer avec les outils actuels (code pénal, code de procédure pénale)?


La compatibilité de ce texte avec le code pénal ne pose aucun problème. Par contre la compatibilité de ce texte avec le code de procédure pénale pose problème parce que ce texte dans certains de ses aspects vient contrarier le caractère moderne, libéral et révolutionnaire d'un code de procédure très protecteur des libertés. Il sera difficile à ceux qui appliquent le code de procédure pénale d'appliquer cette loi car c'est faire une chose et son contraire même si certains diront que le spécial déroge au général.



Le barreau du Cameroun a-t-il été associé à la préparation de ce texte?


Le barreau n'a pas été associé à la préparation de ce texte. Toutefois cela ne devrait d'aucune manière justifier l'indifférence du barreau car il s'agit ici d'un silence coupable. S'il est vrai que les membres du barreau ont été surpris par le dépôt de ce projet de loi à l'assemblée nationale, le barreau aurait dû convoquer même une session extraordinaire du Conseil de l'ordre pour protester contre l'adoption d'un texte liberticide. Cela est regrettable pour un organe censé veiller sur la défense des intérêts des justiciables. La réaction du barreau du Cameroun est toujours attendue. 
 
© Léger Ntiga | Mutations
 

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